L’avenir du jeune Mauricien est à l’étranger, selon le Dr Dorish Chitson

Créé en 2002, l’Overseas Education Centre (Ovec) s’occupe des démarches et de l’inscription de jeunes Mauriciens dans les universités étrangères.

ARTICLE PARU DANS WEEK-END | 16 FEBRUARY, 2015 – 00:00

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 Le Dr Dorish Chitson, sa fondatrice, collectionne les diplômes et les expériences pédagogiques, et suit d’un œil critique l’évolution de notre système éducatif. Voici son portrait.

Dorish Tien Sieng Young — le “h” dans son prénom est dû à une erreur de l’État civil — est née et a grandi à Belle-Rose, dans une famille nombreuse dont elle était la seule fille. « J’étais bonne à l’école, ce qui m’a permis d’obtenir une bourse pour entrer au QEC et une autre, de la France cette fois, pour des études supérieures. Sans ces bourses, je n’aurais pas pu faire des études, qui étaient à l’époque réservées aux garçons ».

Fascinée par les voyages et la découverte de l’autre, Dorish décide d’aller étudier la géographie et quitte Maurice en 1970. Elle rencontre et épouse Jean-Pierre Chitson, un Mauricien travaillant comme médecin à Londres. Après la géographie, Dorish étudie les sciences sociales du développement, le management et, beaucoup plus tard, le droit. En 1978, elle suit son mari, qui décide de rentrer à Maurice alors que toute la famille émigre au Canada. « Nous avons abandonné tout ce que nous avions à Londres pour recommencer à zéro dans une île Maurice qui était alors en pleine crise économique et sociale. Mais mon mari voulait faire grandir nos enfants dans notre pays ».

Dorish devient enseignante de géographie, sciences sociales et General Paper chez les Lorette avant d’être engagée par le gouvernement pour être postée au QEC. « J’ai beaucoup aimé ces années d’enseignement, les activités que l’on montait avec les élèves, les discussions à n’en plus finir sur tous les sujets possibles et imaginables ». Puis, en 1989, elle retourne dans le secteur privé pour accepter une proposition du Bocage, qui venait d’ouvrir ses portes.

« On m’a offert le double de mon salaire et des conditions fantastiques pour ouvrir et gérer le département des sciences sociales de cet établissement. En même temps, je faisais des recherches pour la Tertiairy Education Commission au MGI, j’ai fait un diplôme sur l’histoire du droit colonial à Maurice et participé, avec une équipe française, à l’élaboration d’un atlas de l’île Maurice ».

« Notre système éducatif crée des Degree Holders qui ne peuvent trouver du travail »

Tout en continuant à collectionner les connaissances et les diplômes, Dorish Chitson élève ses trois enfants, Michelle, Frankie et Jerry, et surveille de près leur éducation. Michelle, lauréate, obtient une bourse pour étudier la médecine mais décide d’étudier l’informatique. Pour sa part, Frankie étudie l’ingénierie et Jerry suit les traces de son père pour devenir médecin.

« À l’époque, internet n’était pas encore démocratisé et pour obtenir une inscription dans une université, il fallait se livrer à un véritable parcours du combattant. Je prenais mes congés d’enseignante pour faire les démarches, chercher les adresses, constituer les dossiers, écrire les lettres. Au fur et à mesure, je suis devenue une experte dans la recherche des universités et des procédures pour y faire inscrire un élève. Petit à petit, j’ai commencé à aider des parents et puis, après avoir complété mes différentes études et envoyé mes enfants étudier, j’ai décidé d’ouvrir une agence pour partager mes connaissances et mon expérience ».

Ovec ouvre ses portes au domicile familial des Chitson à Moka en 2002. C’est l’époque où, la situation économique du pays s’étant améliorée, les jeunes Mauriciens ayant les moyens nécessaires veulent aller poursuivre leurs études à l’étranger. C’est aussi l’époque où les agences organisant les études à l’étranger poussent comme des champignons après la pluie. Beaucoup s’improvisent agents éducatifs dans un secteur qui n’est pas réglementé et pas mal d’étudiants se font arnaquer. Les universités où ils sont censés aller étudier sont en fait des écoles techniques ou — pire — des so-called colleges qui délivrent des diplômes qui n’ont aucune valeur.

Ces agences faisaient payer un fee et n’offraient aucune garantie sérieuse quant aux études, au logement et aux diplômes. Le nombre de scandales finira par obliger les autorités éducatives à réglementer le secteur. Désormais, toutes les institutions universitaires représentées par des agents à Maurice doivent obtenir une reconnaissance de la TEC — encore que, comme certains cas récents l’ont démontré, cette reconnaissance ne vaut pas grand-chose ! Ils doivent également faire un dépôt bancaire au ministère de l’Éducation comme garantie.

« Dès le départ, j’ai milité pour une réglementation précise dans le domaine de l’organisation des études à l’étranger. Il a fallu beaucoup de plaintes de parents abusés et des scandales en Australie et en Irlande, entre autres, qui ont révélé l’existence de véritables systèmes d’exploitation pour que les choses changent ».

Comment fonctionne l’Ovec dont la publicité affirme qu’elle offre un free service aux étudiants ? « Nous sommes payés par les institutions à qui nous référons des étudiants mauriciens. Nous sommes payés un dixième de la somme qu’ils payent pour leur première année d’étude, ce que l’on appelle un referal fee, et nous suivons le dossier de l’étudiant et intervenons en cas de besoin pendant la première année ».

« Si tous les gradués chômeurs ne pouvaient pas partir, nous aurions eu une révolution à Maurice »

L’Ovec envoie entre 200 et 300 étudiants mauriciens à l’étranger tous les ans. « Ce sont souvent des gradués locaux qui ont terminé leurs études et ne trouvent pas de travail à Maurice. Ils ont envoyé des dizaines de lettres de demande d’emploi, autant de CV, répondu à toutes les offres d’emploi et bien souvent ils n’ont même pas eu un accusé de réception. Quand ils viennent vers nous, ils sont frustrés, désespérés et pensent aux études à l’étranger comme la seule possibilité de s’en sortir et d’avoir un job. C’est également ce que disent leurs parents ».

Ils viennent accompagnés de leurs parents ? « Très souvent, car ce sont les parents qui vont financer les études et qui, parfois imposent leur choix de sujet. J’entends souvent : C’est moi qui vais payer, voilà ce que tu vas étudier. »

On dirait qu’on parle d’un investissement qui doit rapporter, pas d’un choix de vie… « Nous vivons dans une société où l’argent prime et pour en avoir, il faut un travail, donc le parent choisit une filière qui, selon lui, est correcte et qui va permettre à son enfant de trouver un travail. Ce qu’il ne peut pas avoir à Maurice ».

Depuis quinze ans Dorish Chitson observe et les parents et les étudiants qui viennent la voir pour organiser les études à l’étranger. Ce qui lui permet ce constat qui ne va pas faire plaisir : « Les Mauriciens, surtout ceux de la classe dite aisée, gâtent trop leurs enfants. Les étudiants ne sont pas assez responsabilisés, les parents les chouchoutent trop, semblent croire qu’ils ne peuvent pas faire les choses seuls. Beaucoup font des emprunts bancaires à leurs noms. Il y a beaucoup de parents qui sont tracassés, n’ont pas confiance dans les capacités de leurs enfants à se débrouiller. Ils sont anxieux. »

« Je crois que partir, quitter Maurice ne peut que faire du bien à un jeune. Le départ permet d’apprendre à se débrouiller, à se responsabiliser, à faire face à la vie sans toujours se cacher derrière ses parents. On vie en autarcie, on tourne en rond, on ne développe pas sa personnalité. Partir c’est ouvrir son esprit aller vers les autres au lieu des rester enfermé dans son milieu et ses habitudes ».

Mais avec ces départs bien organisés pour les universités et les polytechniques, ne sommes-nous pas en train de créer une génération de Mauriciens qui vont vivre à l’étranger ? « Cela ne date pas d’aujourd’hui. Nous avons un petit pays, overpopulated à certains points de vue, et nous avons un tout petit marché. Notre système éducatif ne forme pas les étudiants pour les métiers dont a besoin l’industrie locale. Il crée des degree holders qui ne peuvent trouver un emploi et qui sont gagnés par la frustration. Le seul moyen d’éviter que la frustration ne devienne une explosion, c’est le départ pour l’étranger, avec des études ciblées qui débouchent sur un permis de résidence et un emploi.

« Par exemple, au Canada et en Nouvelle-Zélande, on a la possibilité de combiner étude et travail avec à la fin deux ans de permis de résidence dans le pays. C’est une partie de la solution au problème. L’avenir professionnel du jeune Mauricien est malheureusement à l’étranger. Ceux qui reviennent sont ceux dont les parents ont les moyens pour préparer ce retour. Moi-même j’ai dû créer un emploi pour mon fils cadet, pourtant diplômé, et qui travaille à l’Ovec. Tout le monde n’a pas cette possibilité ».

Quelque part, l’Ovec n’aide-t-il pas à dépeupler Maurice de ses jeunes ? « C’est une nécessité. Je me rends bien compte que je contribue à ce mouvement qui pousse les jeunes Mauriciens à quitter le pays pour aller à l’étranger. Mais en ce faisant, j’aide à résoudre une petite partie du problème. C’est un débouché. Si tous les jeunes ne pouvaient pas partir, nous aurions une révolution à Maurice ».

Et qu’advient-il des gradués dont les parents n’ont pas les moyens de leur payer des études à l’étranger et qui doivent rester à Maurice ? « C’est le gros du problème de Maurice. Ces diplômés qui n’ont pas les moyens de quitter le pays augmentent le nombre de gradués chômeurs, frustrés. C’est un problème dont on ne s’occupe pas, malheureusement. Cela crée une frustration qui peut devenir dangereuse. Nous sommes en train de créer une génération de degree holders chômeurs ».

Et que faut-il penser de ces branches d’universités qui viennent s’installer à Maurice ? « Elles viennent, malheureusement, augmenter le nombre de gradués qui ne trouveront pas de travail ici. Il faut que les autorités concernées se penchent sur ce problème avant qu’il ne devienne ingérable ».